Passionnante aventure éditoriale que celle réalisée par les Éditions Mnemos pour la publication de l'intégrale des œuvres de H.P. Lovecraft, traduite et unifiée par un seul traducteur. C'est la levée de fond exceptionnelle, grâce au financement participatif de 5216 souscripteurs sur Ulule début 2018, qui aura permis la publication d'une édition de prestige sous coffret l'année dernière. À revoir les tenants et les aboutissants dans l'interview réalisée en fin d'année. Cette nouvelle traduction intégrale a été réalisée par David Camus, voir l'article de Diacritk. Depuis janvier dernier parait une nouvelle édition cartonnée en librairie, les trois premiers sont parus. On aurait pu s'attendre à a la sortie conjointe des versions numériques correspondantes. Elles seront en fait décalées de six mois chacune, la première paraîtra en septembre prochain avec une réduction substantielle de plus de 50% (9,99€ pour la version imprimée à 22€). Suivront les éditions de poche sans doute à partir de 2024 dans la collection Hélios, l'éditeur le confirme dans le cours de l'interview. Intéressant de revenir sur cette stratégie qui rejoint des questionnements qui s'étaient posés au démarrage du format numérique il y a quelques années et qui concerne la chronologie du média. Comment articuler la sortie du format numérique par rapport aux autres formats, grand format, poche?
Tout d'abord, la sortie conjointe avec l'édition grand format. Je ne reviendrais pas sur le cas très particulier de l'édition en souscription, il est bien évident que celle-ci est réservée aux souscripteurs, pas de diffusion hors de ce cadre-là; il semble d'ailleurs que les souscripteurs aient reçu gracieusement la version numérique en complément à l'époque. Le décalage chronologique entre la parution de la version grand format imprimé et la version numérique remet en lumière une question qui avait été soulevé au démarrage du marché au début des années 2010, je pense notamment chez Grasset. Celle-ci venant pourquoi pas plusieurs mois après, sans doute à mi-chemin avant la parution du poche. A l'époque, le format numérique exacerbait toutes les craintes. Sortir la version numérique tout de suite, n'étais-ce pas freiner, handicaper la diffusion de la version imprimée? Le modèle Amazon lancé précédemment aux États-Unis n'avait pas, malgré le dumping réalisé sur la version numérique, crée de baisse sur les versions en hard-cover. Force est de constater que la même chose s'est passé chez nous, même si l'érosion constaté au fil des années sur le grand format est sans doute plus dû à l'extension importante du poche. Depuis, rien ne semble devoir remettre en cause la parution concomitante du grand format et de la version numérique. De là cette relative surprise chez Mnémos pour l'Intégrale Lovecraft. L'éditeur semble vouloir zapper une telle sortie pour attendre six mois et proposer tout de suite une baisse de prix bien plus significative, équivalente à un format poche au catalogue Hélios. Intéressant, sans doute qu'en 2023/2024 le prix du format numérique baissera-t-il encore sous la barre du poche. On pourrait la résumer :
- édition collector de prestige avec version numérique offerte.
- édition grand format pour la librairie un an plus tard.
- édition numérique six mois plus tard avec une réduction de plus de 50% à 9,99€.
- édition poche un an/deux ans plus tard avec conjointe une baisse de prix de la version numérique à 5,99€.
Une chronologie du média assumée qui n'est pas sans rappeler celle des Éditions Bragelonne, eux-aussi dans le domaine de l'imaginaire. Chaque lecteur trouvant son compte, entre imprimé ou numérique, attendre ou prendre tout de suite. Peut-être que Mnémos, pour être tout à fait complet, aurait pu ajouter une version numérique intermédiaire à 11,99€ ou 12,99€ pour accompagner la sortie du grand format; sans doute beaucoup de lecteurs numériques frustrés cet été, ils devront patienter à l'automne.
Cette réflexion sur la chronologie du média livre me parait intéressante, fidéliser les lecteurs à une pratique compréhensible. Elle devrait guider d'autres éditeurs je trouve, plus que des actions de promotions opportunistes où les titres se révèlent noyés dans la masse et qui ne profitent bien souvent qu'aux enseignes anglo-saxonnes, la plus célèbre en tête.