Repas de morts, Dimitri Bortnikov
20 septembre 2011
Je vous avais parlé l'année dernière de Dimitri Bortnikov, un auteur d'origine russe vivant en France, avec un très bon livre "Le Syndrôme de Fritz", dans une excellente traduction. La bonne surprise de cette rentrée littéraire, c'est qu'il nous revient avec un nouveau livre "Repas de morts" aux Editions Allia; mais cette fois-ci, ce n'est plus une traduction, puisque ce livre a été écrit directement dans notre langue. J'étais très impatient de le retrouver. C'est fait, une véritable réussite, encore une fois au rendez-vous. Une lecture qui vous empoigne de la première à la dernière phrase. Dim (l'auteur?), un émigré russe, passe en revue ses souvenirs et les personnages qui les hantent (père, mère, grands-parents, voisins, etc.), la mort rôde dans un constant aller et retour entre Russie et France. Les démons, plus que les fantômes, sont à fleur de peau et hantent le personnage, nous sommes presque à basculer tout à coup avec lui dans la folie. Sombre, c'est sûr, une atmosphère et des décors qui pourront rebuter certains, mais à chaque fois, une lueur d'espoir qui nous fait reprendre notre souffle, espérer à nouveau à un salut, une rédemption.
"Elle retape mon "Bal des revenants". Clara... Il y a des nuits, elle n'en peut plus... "Mais Dim. Pourquoi tout ça. Dis-moi. Ce noir, ces chagrins. tes pages sont noires. C'est noir. Tous ces morts. Comment vivre tout ça. Et toi-même. Comment. Vivre avec toi. Ta pauvre femme..."
Oui Clara... Oui. Suis lourd comme cent bidets, mes extases sont jalouses, lourdes, suis un bidet bouché en extase. Être léger. Quand on peut plus... Quand on peut plus vraiment -on devient soi-même. Clara. Me prends pas pour un des chevaux de l'Apocalypse. Ne suis qu'un âne, l'âne lourd lourd qui n'a pas chié des siècles. Suis vivant. Je sens que je deviens une ombre... A petit pas. Moi, toi, toute cette armée de gens... A petite cuillerée... On devient des ombres. Sentir ça Clara, chaque respiration, chaque feu d'orgasme même quand l'oeil du vivant se ferme et on jouit jouit...
Je dicte. Elle me regarde... Puis se lance les yeux vides. Clara est pudique. Elle entrebâille son coeur puis - le ferme claquant." (page 121)
Un style direct, franc, court, qui sonne à chaque fois tout à fait juste, les phrases frappants comme des coups de masse. Je trouve sidérant comment l'auteur a pu s'approprier notre langue de la sorte, en réinventant sa propre écriture, passant d'une langue à l'autre avec la même facilité, la même réussite. Cela interpelle longtemps après la lecture. Un ouvrage qui a été remarqué par plusieurs critiques, Fluctuat, Télérama, Lire, et d'autres encore. Vraiment, un très bon livre de cette rentrée que je vous conseille. Après le livre de Jenni, je touche du bois! A signaler une version numérique de grande qualité conforme à la présentation du livre, un effort à saluer particulièrement en ces temps de "vol organisé" sur le numérique français. Vous pourrez la retrouver dans l'ensemble des bonnes librairies numériques. Prix à 50% de la version imprimée (soit 4,50€) sans DRM, Allia est décidément dans le juste, avec en plus des livres imprimés de qualité à prix très doux. Franchement à ces prix-là, découvrir Dimitri Bortnikov, vite!
Livre lu sur un NookTouch dans le cadre du Club des Lecteurs Numériques. Excellente version numérique. Je remercie particulièrement Harmonia Mundi et les Editions Allia de nous témoigner de leur confiance.