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Le pillage des classiques du domaine public

LivresJe relaie bien volontiers le billet d'un de mes lecteurs, Michel Morin, à propos des offres de livres du domaine public à très bas prix qui se développent actuellement sur les catalogues des plateformes numériques. Beaucoup d'officines peu scrupuleuses s'engouffrent dans la brêche et récupèrent, sans aucune valeur ajoutée, le travail de centaine de bénévoles qui relisent et corrigent les textes puis les proposent gratuitement sur le web. On souhaiterait que des plateformes leaders comme Amazon, Kobo montrent l'exemple et fassent régulièrement le ménage dans leurs catalogues pour des offres qui grugent leurs lecteurs. C'est d'ailleurs bien souvent le même distributeur numérique qui sert de pourvoyeur:

Les débuts de l'ère numérique du livre ont amené un étrange et beau phénomène: des centaines, des milliers de personnes se sont jetées sur des livres pour les retranscrire et les offrir au monde. Ce sont tous ces textes ressuscités que l'on trouve sur Ebooks Libres et Gratuits, Wikisource, Projet Gutenberg, et sur tant d'autres sites.

Mais ce noble phénomène a un étrange revers: les marchands du temple, qui veillent à la moindre occasion de s'enrichir, et de s'enrichir en se tournant les pouces, de préférence. La comparaison est usée jusqu'à la corde, mais il s'agit bien là des textes du temple de la littérature qu'est devenu Internet. Ces textes sont disponibles, à portée de main, libres de droits. Quelle idée pourrait germer dans ces cerveaux retors? Les vendre, bien entendu!   

Car tout le monde n'est pas au fait de l'existence de ces textes gratuits. L'essor des plateformes numériques permet à n'importe qui de se proclamer éditeur et de côtoyer Gallimard, Grasset et consorts.   

Il pourrait ne s'agir que d'un banal conflit éditeurs/ bibliothèques, dans lequel les gratuits seraient les bibliothèques patiemment remplies par les bénévoles; on dirait alors: «Il faut bien que les éditeurs vivent!...» Non, car ces soi-disant "éditeurs" (méritent-ils même ce nom?) n'ont rien fait, rien accompli, et vendent le travail patient, méticuleux et passionné des autres, en comptant sur l'ignorance et la crédulité des lecteurs. Le potentiel de textes et de ventes est infini. Il suffit d'aller sur Internet, de prendre un texte gratuit, de le recopier dans un traitement de texte et de le convertir en "EPUB", d'ajouter une couverture sympathique, de les déposer sur une plate-forme, et de regarder les sous entrer à chaque téléchargement.   

Quoi de plus machiavélique? Rien de plus légal, puisque le texte est libre, rien de plus simple. Chaque texte est généralement fixé à 0,99€; cela semble peu, bénin; aussi leur faut-il recopier le plus de textes possible, sans cesse.

Bien entendu, nos soi-disant éditeurs diront qu'ils ont remis en forme le texte «spécialement pour une lecture numérique» (cela sonne très "club de gym"), qu'ils l'ont relu et corrigé des erreurs restantes. Quand on connaît le degré d'exigence et d'excellence des relectures d'Ebooks Libres et Gratuits, principal pourvoyeur de ces rapaces, on ne peut que sourire. Ou qu'ils ont ajouté des préfaces et des biographies (les "Editions" Humanis, par exemple, ont la grande intelligence de recopier les articles Wikipedia de chaque auteur. Ils ne berneront personne.  

Prenons donc l'exemple de la Bête humaine tel qu'on peut le trouver sur une plateforme numérique: tous se battent pour vous vendre ce texte trouvable gratuitement ailleurs à 0,99€ ou plus: Éditions de Londres, Ink Book, Candide & Cyrano, Culture commune... Tous ne sont pas absolument mauvais. Certains éditent des textes d'auteurs récents (Éditions de Londres, Publie.net, Numeriklivres, etc), mais il semble très dur de résister à cette tentation de recopier de temps en temps un gratuit que l'on va présenter comme une redécouverte: ainsi, le "premier prix Goncourt", Force ennemie de John-Antoine Nau, réédité chez Publie.net, mais depuis longtemps disponible gratuitement sur Internet.  

Citons surtout les noms de ces soi-disant éditeurs, ceux qui pratiquent cette activité en masse, avec un tel acharnement que c'en deviendrait maladif: Ink Book, Candide & Cyrano, Culture commune, Thriller Editions. J'en oublie certainement, et certainement d'autres viendront encore. Ink Book (plus de 500 livres pillés qui dit mieux?) ne se gêne même pas pour recopier des les moindres textes récupérables ici et là (tel texte issu de la Bibliothèque de Lisieux est tout simplement recopié et vendu) ou encore les belles traductions de Saint Augustin disponibles sur un obscur site d'abbaye... Tout est bon à prendre et à revendre. 

Heureusement, les lecteurs semblent se détourner de ces attrape-nigauds avec des prix trop bas jugés dissuasifs. Puissent ces soi-disant éditeurs, dont les textes polluent les plates-formes de vente, tomber dans l'oubli et, à défaut d'en être exclus, ne demeurer que comme un témoignage des débuts erratiques et balbutiants de l'édition numérique.  

L'exemple de "Gatsby le magnifique" est frappant à ce titre. A peine est-il paru, gratuitement, sur Ebooks Libres et Gratuits ici, le 16 décembre 2012, que la meute, déchaînée par l'actualité cinématographique, s'est jetée sur la proie. Ainsi l'a t-on retrouvé comme par hasard publié par Numeriklivres (20 février 2013), Culture Commune (10 mars), Black Moon (18 Avril), Les Editions de l'Ebook Malin (4 mai), Neobook (13 mai), République des lettres (14 mai). On ne fera croire à personne qu'aucun d'entre eux n'a scanné et créé l'ouvrage; il est tellement plus facile d'attendre et de recopier.

Contribution de Michel Morin, lecteur/bénévole en colère

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