"Oui certes, je suis d'accord avec vous,
il faut rester éditeur et je ne vois effectivement pas quelqu'un qui ne
se passionnerait pas pour les livres qu'il publie être en mesure de les
partager et donc peut-être de les vendre. Mais la question qui se pose
ici est: suffit-il de le rester ? Je ne crois pas.
Ce que nous expérimentons avec M@nuscrits dans l'adaptation de ce
métier ancien de l'édition aux nouvelles conditions de son exercice
avec l'avènement de l'Internet, c'est ce qu'on pourrait appeler devenir
un hyper-éditeur (de la même façon qu' il a de l'hyper-texte)
Avec M@nuscrits nous "produisons", nous mettons en scène, l'ensemble
des étapes de la chaîne du livre, depuis le début du processus (le sort
du manuscrit), jusqu'à la fin (les multiples façon d'accéder au livre.)
Ces fonctions jusque là séparées (elles incluent la diffusion et la
distribution), tendent à se réunir dans un seul et même dispositif.
Je distingue aujourd'hui trois aspects:
1/ Le manuscrit en ligne et son auto-édition. Un manuscrit papier envoyé par l'auteur à plusieurs maisons dans l'espoir d'être édité n'est pas publié,
il reste dans le secret, à l'abri, dans la sphère professionnelle qui,
la plupart du temps ne peut que l'ignorer faute de disposer des moyens
nécessaires pour le connaître, le juger, l'apprécier. Un M@nuscrits mis
en ligne par un auteur dans un site accessible à tous où l'on a prévu
et organisé la possibilité pour les lecteurs de le commenter, de
dialoguer avec l'auteur, où l'on met à la disposition de l'auteur les
moyens de modifier son texte pour le faire évoluer en fonction de cette
expérience, ce M@nuscrits est publié, il est auto-édité et accessible gratuitement.
Si on compare les deux économies réelle et numérique (longue traîne),
dans la première, le manuscrit représente une perte nette, dans la
seconde, il est déjà un résultat virtuel (sur lequel on peut spéculer)
même s'il n'a pas encore de valeur monétaire. Ainsi, comme cela s'est
passé dans le domaine de la musique, le M@nuscrit peut faire l'objet
d'un pari sur l'avenir et rassembler un groupe d'investisseurs ou
d'acheteurs. Ce pari peut, bien sûr, être entièrement assumé par
l'auteur, (auto-édition complète) l'éditeur n'étant plus alors qu'un
prestataire de service rémunéré par l'auteur.
2/ Le M@nuscrit ELS (En Ligne des ELS). Il s'agit d'un quasi-livre (il ne
lui manque que d'être imprimé sur du papier pour le devenir. Il a fait
l'objet d'un travail éditorial d'un auteur et d'une maison d'édition ,
d'une maquette, et parait avec sa marque. Il s'agit d'un simulacre de
livre et tout ce qui peut améliorer l'ergonomie de sa lecture est
essentiel.(par exemple le perfectionnement du système flash qui permet
une lecture en ligne, en tournant les pages pour recréer la sensation
du livre). S'il n'est pas en papier et n'est pas destiné à entrer dans
le circuit commercial de la librairie, il n'est est pas moins un
produit téléchargeable et commercialisable en ligne à destination des
ordinateurs, des readers et autres téléphones. Il y a un prix à définir
pour ce "fichier" et un mode de partage de la rémunération entre
l'éditeur, l'auteur et l'éventuelle plateforme de vente. Cet objet
numérique n'en est qu'à ses premiers balbutiements mais devrait évoluer
rapidement avec la transformation accélérée des supports électroniques
de réception du fichier.
3/ La Collection M@nuscrits (Rétro-publication). Si, matériellement, il ne
s'agit que du retour dans les mécanismes traditionnels de l'édition
d'un texte apparu ou conçu dans l'univers numérique, cette collection
pose autrement les questions du contexte de l'acte d'éditer, en
particulier celle du choix éditorial et du comité de lecture et de la
marque. Jusqu'à présent, le système M@nuscrit ne remplit pas
formellement la fonction d'agent. Il arrive de temps en temps qu'un
auteur nous envoie un message nous demandant de retirer son texte en
ligne parce qu'il a été contacté par un autre éditeur et que les choses
se précisent. Ainsi, jusqu'à présent, le contrat avec l'auteur
n'intervient qu'à partir du moment où il est choisi et publié par un
éditeur (en l'occurrence, pour ce qui nous concerne directement, par
les ELS). Mais cette fonction de vitrine de présentation et de
promotion pour les M@nuscrits pourrait également faire l'objet d'un
contrat d'agence avec les prestations correspondantes et leur
rémunération. Le perfectionnement et la baisse des coûts des petits
tirages de l'imprimerie à la demande peut aboutir à une diversité de
services à partir de l'existence du texte sur papier. Ceci concerne
plus particulièrement la fraction de la chaîne du livre papier qui va
de la diffusion jusqu'à la librairie ou la presse.
Pour l'ensemble de ces trois domaines, l'évolution du "groupe"
sociologique qui entoure les M@nuscrits me semble décisive. La
blogsphère est un univers en cours de formation. On y rencontre des
blogueurs/auteurs qui utilisent ce nouvel instrument pour créer, écrire
et aborder de façon directe la relation avec les autres; des critiques,
en grande majorité des femmes, souvent professeur de lettre, qui se
présentent comme de simples lectrices; des professionnels reconvertis,
en particulier des journalistes qui trouvent là un moyen de se
reconvertir dans un métier où les places sont de plus en plus rares
avec la crise de la presse; et puis, on voit apparaître quelques
auteurs qui trouvent là un moyen de prolonger leur relation avec les
lecteurs par rapport aux moyens traditionnels des salons et des
signatures en librairie. Certains auteurs vont même jusqu'à tenter de
s'autonomiser complètement par rapport au système et devenir leur
propre éditeur. On ne peut pas dire que la blogosphère représente
actuellement une dynamique positive pour la création. Elle s'est plutôt
spontanément érigée en obstacle supplémentaire et il y a peu à attendre
du sentiment d'appartenance à un même groupe. On a plutôt une
impression inverse. Mais ceci peut représenter un atout dans la mesure
où ce "comité de lecture" très "spécial" est largement "dé-socialisé"
et que les choses s'y expriment en dehors des convenances et donc des
conventions et des petites habitudes du "milieu", peut-être à la
recherche de nouvelles règles (ce que je cherche à comprendre dans mon
travail sur le "Traité de savoir vivre" (de plus en plus en retard
d'ailleurs)".