Léo Scheer: la notion d'hyper-éditeur
09 octobre 2009
"Oui certes, je suis d'accord avec vous, il faut rester éditeur et je ne vois effectivement pas quelqu'un qui ne se passionnerait pas pour les livres qu'il publie être en mesure de les partager et donc peut-être de les vendre. Mais la question qui se pose ici est: suffit-il de le rester ? Je ne crois pas. Ce que nous expérimentons avec M@nuscrits dans l'adaptation de ce métier ancien de l'édition aux nouvelles conditions de son exercice avec l'avènement de l'Internet, c'est ce qu'on pourrait appeler devenir un hyper-éditeur (de la même façon qu' il a de l'hyper-texte) Avec M@nuscrits nous "produisons", nous mettons en scène, l'ensemble des étapes de la chaîne du livre, depuis le début du processus (le sort du manuscrit), jusqu'à la fin (les multiples façon d'accéder au livre.) Ces fonctions jusque là séparées (elles incluent la diffusion et la distribution), tendent à se réunir dans un seul et même dispositif. Je distingue aujourd'hui trois aspects:
1/ Le manuscrit en ligne et son auto-édition. Un manuscrit papier envoyé par l'auteur à plusieurs maisons dans l'espoir d'être édité n'est pas publié, il reste dans le secret, à l'abri, dans la sphère professionnelle qui, la plupart du temps ne peut que l'ignorer faute de disposer des moyens nécessaires pour le connaître, le juger, l'apprécier. Un M@nuscrits mis en ligne par un auteur dans un site accessible à tous où l'on a prévu et organisé la possibilité pour les lecteurs de le commenter, de dialoguer avec l'auteur, où l'on met à la disposition de l'auteur les moyens de modifier son texte pour le faire évoluer en fonction de cette expérience, ce M@nuscrits est publié, il est auto-édité et accessible gratuitement.
Si on compare les deux économies réelle et numérique (longue traîne), dans la première, le manuscrit représente une perte nette, dans la seconde, il est déjà un résultat virtuel (sur lequel on peut spéculer) même s'il n'a pas encore de valeur monétaire. Ainsi, comme cela s'est passé dans le domaine de la musique, le M@nuscrit peut faire l'objet d'un pari sur l'avenir et rassembler un groupe d'investisseurs ou d'acheteurs. Ce pari peut, bien sûr, être entièrement assumé par l'auteur, (auto-édition complète) l'éditeur n'étant plus alors qu'un prestataire de service rémunéré par l'auteur.
2/ Le M@nuscrit ELS (En Ligne des ELS). Il s'agit d'un quasi-livre (il ne lui manque que d'être imprimé sur du papier pour le devenir. Il a fait l'objet d'un travail éditorial d'un auteur et d'une maison d'édition , d'une maquette, et parait avec sa marque. Il s'agit d'un simulacre de livre et tout ce qui peut améliorer l'ergonomie de sa lecture est essentiel.(par exemple le perfectionnement du système flash qui permet une lecture en ligne, en tournant les pages pour recréer la sensation du livre). S'il n'est pas en papier et n'est pas destiné à entrer dans le circuit commercial de la librairie, il n'est est pas moins un produit téléchargeable et commercialisable en ligne à destination des ordinateurs, des readers et autres téléphones. Il y a un prix à définir pour ce "fichier" et un mode de partage de la rémunération entre l'éditeur, l'auteur et l'éventuelle plateforme de vente. Cet objet numérique n'en est qu'à ses premiers balbutiements mais devrait évoluer rapidement avec la transformation accélérée des supports électroniques de réception du fichier.
3/ La Collection M@nuscrits (Rétro-publication). Si, matériellement, il ne s'agit que du retour dans les mécanismes traditionnels de l'édition d'un texte apparu ou conçu dans l'univers numérique, cette collection pose autrement les questions du contexte de l'acte d'éditer, en particulier celle du choix éditorial et du comité de lecture et de la marque. Jusqu'à présent, le système M@nuscrit ne remplit pas formellement la fonction d'agent. Il arrive de temps en temps qu'un auteur nous envoie un message nous demandant de retirer son texte en ligne parce qu'il a été contacté par un autre éditeur et que les choses se précisent. Ainsi, jusqu'à présent, le contrat avec l'auteur n'intervient qu'à partir du moment où il est choisi et publié par un éditeur (en l'occurrence, pour ce qui nous concerne directement, par les ELS). Mais cette fonction de vitrine de présentation et de promotion pour les M@nuscrits pourrait également faire l'objet d'un contrat d'agence avec les prestations correspondantes et leur rémunération. Le perfectionnement et la baisse des coûts des petits tirages de l'imprimerie à la demande peut aboutir à une diversité de services à partir de l'existence du texte sur papier. Ceci concerne plus particulièrement la fraction de la chaîne du livre papier qui va de la diffusion jusqu'à la librairie ou la presse.
Pour l'ensemble de ces trois domaines, l'évolution du "groupe" sociologique qui entoure les M@nuscrits me semble décisive. La blogsphère est un univers en cours de formation. On y rencontre des blogueurs/auteurs qui utilisent ce nouvel instrument pour créer, écrire et aborder de façon directe la relation avec les autres; des critiques, en grande majorité des femmes, souvent professeur de lettre, qui se présentent comme de simples lectrices; des professionnels reconvertis, en particulier des journalistes qui trouvent là un moyen de se reconvertir dans un métier où les places sont de plus en plus rares avec la crise de la presse; et puis, on voit apparaître quelques auteurs qui trouvent là un moyen de prolonger leur relation avec les lecteurs par rapport aux moyens traditionnels des salons et des signatures en librairie. Certains auteurs vont même jusqu'à tenter de s'autonomiser complètement par rapport au système et devenir leur propre éditeur. On ne peut pas dire que la blogosphère représente actuellement une dynamique positive pour la création. Elle s'est plutôt spontanément érigée en obstacle supplémentaire et il y a peu à attendre du sentiment d'appartenance à un même groupe. On a plutôt une impression inverse. Mais ceci peut représenter un atout dans la mesure où ce "comité de lecture" très "spécial" est largement "dé-socialisé" et que les choses s'y expriment en dehors des convenances et donc des conventions et des petites habitudes du "milieu", peut-être à la recherche de nouvelles règles (ce que je cherche à comprendre dans mon travail sur le "Traité de savoir vivre" (de plus en plus en retard d'ailleurs)".