iPad: le test décisif
POL croît en numérique

Iznéo: auteurs et libraires en débat

IzneoVincent Monadé (LeMotif) revient sur la fameuse plateforme d'éditeurs de bandes dessinées Iznéo: "La tentation est forte, et notamment chez les promoteurs d'Iznéo, de s'affranchir du libraire. Certes, on comprend l'urgence pour les éditeurs de bandes dessinées de réagir, alors que l'étude EbookZ? du MOTif a démontré que le secteur était largement piraté, en proposant une offre numérique légale. Pour autant, sauter un maillon de la chaîne, la librairie, prescripteur essentiel, c'est prendre le risque de se couper, à terme, d'un lectorat lié à des auteurs, parfois à des vendeurs, mais très peu à des marques éditoriales". Rappelons que les auteurs avaient été complètement évacués du débat. On peut parier que les éditeurs qui ont promu Iznéo vont aussi aller sans grands états d'âme du côté de l'iPad et de son iBooks dans quelques semaines; ils sont où les auteurs et les libraires sur l'iPad... J'ai repéré le voeu pieu sur la plateforme: "Avec Izneo, les éditeurs entendent construire eux-mêmes leur offre de lecture numérique indépendamment des grands opérateurs internationaux". A voir... Le 31 mars dernier a eu  lieu une rencontre entre Claude de Saint-Vincent (MédiaParticipations) et le Syndicat des auteurs de BD, compte-rendu ici, que je me permets de retranscrire tant il est éclairant sur les positions actuelles des éditeurs en terme de numérique:

"L'idée d'un contrat séparé ne sera pas acceptée par le groupe Média, son argument principal étant que livre papier et livre numérique sont une seule et même création, financée par l'éditeur. L'édition numérique et l'édition doivent absolument rester indissociables, pour Média.

Nous avons pour notre part rappelé que l’objectif du contrat séparé était la visibilité, la transparence des conditions de cession des droits numériques dans un acte séparé du contrat d’édition, ce qui peut en particulier permettre plus facilement des spécificités sur les modalités de cession, par exemple sur la durée.

Sur cette question de la durée: Média refuse de limiter l'étendue de la cession des droits, aux vues des sommes investies dans la création d'Iznéo, qui représentent un risque pour l'entrepreneur.

Nous avons pour notre part insisté sur le fait que limiter la durée de cession (par exemple à 3 ans, comme l'a proposé Jean Van Hamme lors d'une discussion sur ce sujet), avec «tacite reconduction» si les deux parties restent en bon terme, n'impliquait pas obligatoirement pour les auteurs le fait de quitter leur éditeur à l'issue de cette période, comme Média semblait le penser, mais permettait surtout de laisser aux auteurs une « porte de sortie », en cas de réelle mésentente (une sorte de clause permettant le divorce dans un contrat de mariage). Sans cette durée limitée sur le numérique, un livre sera lié à son éditeur pour la durée de la vie de l'auteur plus 70 ans, et ce sans possibilité de divorce, et surtout sans que l'éditeur s'engage à aucun devoir explicite en contrepartie, alors qu'actuellement, lorsque nous cédons nos droits pour le livre «papier», la durée de cession que nous accordons se fait précisément en échange d'un certain nombre de devoirs imposés à l'éditeur (dont le devoir d'exploiter l'oeuvre). Sur le net, quels seront les nouveaux «devoirs» de l'éditeur, justifiant une cession à vie?

Au sujet de ce devoir d'exploitation, au passage, Claude de Saint Vincent a reconnu être d'accord pour dire que l'exploitation du livre papier et celle du livre numérique devraient effectivement être distinguées (de manière à éviter que la seule mise en ligne d'un livre suffise à parler de «juste exploitation de l'oeuvre par l'éditeur»). De même, il a été envisagé au cours de l'entretien que les recettes du numériques ne servent pas à rembourser l'à-valoir de la création du livre papier.

Concernant l'accord de l'auteur pour l'adaptation de son oeuvre: la position officielle de Média est de dire que puisque la mise en ligne des pages est semblable à une publication papier (dans le cas de la mise en ligne page par page sur Iznéo), et qu'il n'y a donc pas d'adaptation, il n'est pas réellement nécessaire de demander l'accord de l'auteur, du strict point de vue du droit moral.

Nous avons demandé à préciser ce point, car il nous semblait totalement différent de ce qui nous avait été présenté par les responsables de Dargaud, qui assurent demander l'accord de tous les auteurs avant une éventuelle mise en ligne. Ce à quoi Claude de Saint Vincent nous a répondu que s'il était certes important de travailler en bonne entente avec les auteurs, il ne serait pas possible de demander leur avis à chacun d'entre eux, d'autant qu'il ne s'agissait pas ici de droit moral, puisque selon lui (une fois encore) «l'oeuvre papier est semblable à l'oeuvre numérique». Il a clairement ajouté que si l'avis d'auteurs connus serait à priori systématiquement demandé, il n'en serait pas de même pour des auteurs débutants (de la même manière que pour n'importe quel contrat, plus on est reconnu, plus on peut négocier avec son éditeur).

Il nous a pourtant semblé qu'il y avait là une réelle ambiguïté, puisque sont liées par une même clause sur le numérique des oeuvres dites «non adaptée» (diffusées sur Iznéo, page par page) et celles qui seront «clairement adaptées» pour de nouveaux médias tels que le I-Phone (nécessitant un re-découpage complet, voire l'ajout de musique). Ambiguïté qui touche entre autres aux modèles économiques potentiellement différents qui en découleront et nous paraît une fois de plus aller dans le sens de la création d'un contrat séparé.

La rémunération: il s'agissait bien entendu d'un point essentiel de notre discussion, mais aussi d'un point évident de désaccord.

Là encore, contrairement à ce que nous avions cru comprendre lors de nos discussions avec les responsables de Dargaud, c'est bien l'idée du «livre papier semblable au livre numérique» qui servira de mètre-étalon chez les différents éditeurs du Groupe Média Participations ainsi que chez les éditeurs extérieurs travaillant avec Iznéo.

A ce titre, Claude de Saint Vincent nous a expliqué que la clause sur les droits dérivés des contrats actuels de Dargaud faisait clairement figure d'exception et devrait donc disparaître d'ici la fin de l'année, faisant place aux pourcentages classiques de rémunération du livre papier (à savoir 8% en moyenne, sans que l'on sache du tout si des paliers à 10 et 12% seraient un jour envisagés et selon quelles modalités).

Nous n'avons pas cachés être plus que désagréablement surpris par cette précision, qui fera à terme passer l'offre actuelle de Dargaud de 17,5% à 8% de droits d'auteurs sur le prix de vente. Un saut énorme, qui nous rend d'autant plus dubitatif sur la manière dont cette clé de répartition est fixée.

Nous avons donc redit notre anxiété par rapport à un modèle économique restant à ce point flou, et avons demandé à Claude de Saint Vincent de répondre si oui ou non, il accepterait de participer (en tant que représentant du groupe Média) à une réelle concertation réunissant d'autres éditeurs ainsi que des représentants des auteurs. Il nous clairement dit ne pas voir l’intérêt de perdre du temps avec une telle discussion, selon lui vouée à l'échec du fait même des différences d'opinion des différents éditeurs voire des auteurs eux même.

Pour autant, nous avons réaffirmé notre souhait de rendre cette discussion possible, et qui plus est sous l'égide du Ministère de la Culture, dont l'intervention nous semble plus que jamais nécessaire pour éviter que ces points de négociation se fassent désormais au cas par cas, auteur par auteur, et non pour l'ensemble de la profession."


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