"Pour Fred Vargas, au commencement doit être le verbe. Enfin le verbe, entendons-nous, les verbes, les substantifs, les adjectifs, attributs, adverbes et toute la panoplie des mots possibles. Cet ensemble sémantique qui vient construire et habiller l'idée ou les idées qui la hantent et l'obligent à se lancer une fois de plus dans les sentiers obscurs des aventures de son commissaire Adamsberg.
Pour Adamsberg, au commencement, c'est le signe qui compte. Ce peut être un cercle bleu, une morsure de loup gigantesque, un os dans une déjection canine, un 4 à l'envers, une chaussure avec un pied dedans, un trident ou, comme dans ces Temps Glaciaires, un H mal foutu affublé d'un gribouillis convexe. Hiéroglyphe, lettre cyrillique, idéogramme ou symbole sectaire farfelu? Danglard est là pour éclairer ou pas, mettre son érudition en marche, et, le lumineux Lucio pour nommer l'araignée qui gratte ou le chemin ignoré. Chacun sa place, Adamsberg, c'est le repèreur de signe abscons qui font les grandes enquêtes et les belles énigmes.
Fred Vargas, en bonne archéologue, exhume les mots des profondeurs du champ lexical, les libère de la gangue de sens accumulée par le temps ou l'usage commun, les bichonne et leurs trouve habilement une place choisie qui va faire sens dans une histoire de Robespierre et d'Islande qui, a priori, n'en a aucun. Elle sculpte un monde où chaque détail a sa vie propre, un monde qui n'est pas le reflet de la réalité, un monde original et unique qui nous aspire, substituant son imaginaire à notre réel. Le personnage le plus insignifiant y a sa description précise et nette, il s'anime, même mort depuis plus de deux siècles ou aussi improbable qu'un monstre islandais.
Temps Glaciaires est encore un roman rare, exceptionnel même. De ceux que j'appelle une confiserie, domaine du plaisir pur. Quatre ans sans nouvelles et paf! Adamsberg, de son pas indolent revient et l'on replonge immédiatement sans pouvoir lui en vouloir une seconde de cette absence. De toute façon, il n'en aurait réellement rien à faire de nos états d'âme alors à quoi bon récriminer?
Le charme n'est pas rompu, il opère comme toujours. Vargas, seule, peut nous passionner pour un démon islandais intervenant dans une histoire de députés révolutionnaires avec des témoins qui tournent leurs pensées sept fois - et pas une de plus – dans leurs têtes. Poétique, absurde, étonnant, désarmant, ce roman est tout cela à la fois et ne répond heureusement à aucune étiquette.
Entrez sans aucune hésitation dans ce roman, sans référence, sans préconçu ni préjugé. Il faut, pour que le sortilège agisse, juste suivre attentivement les déambulations d'Adamsberg et se laisser griser par la magie des mots."
Suite de la chronique sur Quatre sans quatre
[Temps glaciaires de Fred Vargas chez Flammarion]
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