La Nuit tombée d'Antoine Choplin - n°63
28 août 2012
C'est la rentrée pour notre ami Thierry, toujours fidèle au poste pour ses chroniques. Je l'en remercie. Aujourd'hui "La Nuit tombée" d'Antoine Choplin, paru à La Fosse aux Ours. 9,99€ en epub sans DRM sur ePagine par exemple.
Il y a eu la vie à Tchernobyl.
«Après les derniers faubourgs de Kiev, Gouri s’est arrêté sur le bas-côté de la route pour vérifier l’attache de la remorque.»
Gouri part en moto vers la zone. La zone interdite de Tchernobyl. Gouri est un ancien «volontaire» pour nettoyer le réacteur N°4 de la centrale.
«C’était tôt le matin, deux camions militaires sont arrivés ici au village. Une huitaine de gars sont descendus et le chef a pris la parole pour dire qu’ils recrutaient des hommes pour nettoyer la zone. Que s’engager pour ce travail, c’était ni plus ni moins faire son devoir de citoyen.» Ce seront les liquidateurs.
Ecrivain public à Kiev, il revient sur les lieux deux ans plus tard. Il veut récupérer la porte de la chambre de sa fille.
«Il y a pas mal d’inscriptions dessus. Des choses que nous avions écrites ou dessinées, Ksenia et moi. Un peu de poésie, des mots comme ça.». Et les marques de la taille de Ksenia, à douze ans, à treize et demi, quatorze.
Gouri, sa femme et sa fille habitaient à Priapiat, près du square Pouchkine, pas loin de la centrale. Aujourd’hui c’est une ville fantôme où dans les jardins brillent des taches violacées de césium, une sorte de jus qui suinte de partout et sombrent des oiseaux aveugles. Sur son chemin il va rencontrer des survivants. Ils vont raconter, se raconter la catastrophe. Ils vont chanter, au son de l’accordéon, ivres de vodka et de souvenirs le temps... d’avant l’événement. Véra, Piotr, Pavel, Ivan, Leonti, Kousma, Vassili, Svetlana et les autres. Et Iakov qui se meurt.
«Le visage est méconnaissable. Il a perdu ses cheveux et la peau du crâne est diaphane. Laissant voir en plusieurs endroits l’épaisse saillie des veines. L’un de ses yeux est presque fermé, comme celui d’un boxeur après un combat. Les joues sont creuses, les lèvres curieusement retroussées, les mâchoires crispées.»
Son précédent livre «Le Héron de Guernica» m’avait enchanté.
L’histoire de Basilio, un jeune peintre autodidacte qui peint les hérons cendrés des marais de Guernica. La guerre d’Espagne, Picasso...
Toujours tout en retenue, écrivain économe, pudique, presque magique mais tellement généreux avec le lecteur. Cette nuit tombée m'a séduit. L'écriture de Choplin, teintée d’atticisme, jette comme un sort sur le lecteur. Il nous charme avec ses mots légers, ses courtes phrases lestées d'adjectifs trop qualificatifs. L'ombre des mots, discrète, à peine visible, invisible presque, déborde d'émotions, nous arrache des larmes, nous prend aux tripes. L'ombre du drame nous tient le fil à la page. Merci Monsieur Choplin.
«Sans bon sentiment, l’on ne fait que mauvaise littérature.» écrivait Gide.
«Je suis allé plusieurs fois sur le toit avec lui. Il voulait toujours mettre un ou deux coups de pelle de plus que les autres. Il dépassait les quarante secondes à chaque coup.»
Tchernobyl, 25 ans après: de 25 000 à 125 000 morts et plus de 200 000 invalides, et pour les populations exposées à la contamination un bilan qui sera selon les estimations de 14 000 à plus de 985 000 morts à travers le monde.
Mais ce livre vous en dira beaucoup plus que ces chiffres... C’est le pouvoir de la littérature.
Lu dans le cadre du Club des Lecteurs Numériques.