David Forrest : entre auto-publication et édition
15 octobre 2014
Sortie aujourd'hui aux Editions Bragelonne de Prométhium de David Forrest. Une rentrée sur les chapeaux de roues puisque sortait il y a quelques semaines seulement Légion chez le même éditeur. David Forrest, vous vous rappelez sans doute, cet auteur qui avait en 2011 obtenu ses premiers succès sur la plateforme d'auto-publication KDP d'Amazon. Le magazine Capital avait été le retrouver chez lui en région nantaise à l'époque. Je l'avais rencontré au printemps 2012 pour en parler avec lui. C'est l'occasion de reprendre contact aujourd'hui pour qu'il nous confie un regard rétrospectif sur son activité d'auteur, entre auto-publication et désormais édition.
Peux-tu dresser un petit bilan rétrospectif de ton activité d'auto-publication au fil des années?
J'ai commencé un peu par hasard et par curiosité en publiant un premier roman, En Série - journal d'un tueur, en mai 2011, d'abord sur iTunes. Deux mois plus tard, à ma grande surprise, le roman s'était installé dans le top 50 des ventes. Puis au lancement des liseuses type Kindle et Kobo, en octobre et novembre de la même année, le même miracle s'est accompli. Pendant des mois, En Série est resté en tête des ventes un peu partout, rejoint par d'autres nouvelles qui ont suivi (notamment Petit ange). Aujourd'hui, je totalise en autoédition un peu plus de 30.000 livres vendus, dont un bon tiers de En Série. Le reste est partagé entre une dizaine de nouvelles, notamment de SF et de fantastique. Un autre roman, Légion, a bien démarré, mais je l'ai retiré des ventes il y a plusieurs mois, pour le retravailler en vue de sa ressortie dans le catalogue Snark de Bragelonne, le mois dernier, juste avant la publication de sa suite encore inédite, Prométhium, qui sort ce mercredi 15 octobre, toujours chez Bragelonne. Une de mes nouvelles, Le Tunnel, a traversé les Alpes pour être traduit en italien et édité par Meme Publishers, qui devrait bientôt aussi en proposer la version anglaise.
En fait, depuis presque deux ans, je n'ai pas publié grand-chose, à part une poignée de nouvelles, même si j'en ai profité pour écrire trois romans (Prométhium et deux titres encore secrets). Pour plusieurs raisons. Avec le recul et l'expérience, j'ai voulu gommer les erreurs de jeunesse de mes premiers textes et les ai donc tous réédités, parfois en profondeur. Je ne supportais plus leurs défauts, imputables, j'imagine, à l'impétuosité du jeune auteur. Alors j'ai tout retiré des plateformes de vente, tout remis à jour et republié "en partant de zéro". C'était pour moi une question de respect du lecteur, quitte à perdre l'historique très flatteur de ces textes: leurs classements, leurs commentaires très largement positifs, etc.
Cette envie de toujours faire mieux, d'offrir le meilleur texte aux lecteurs m'a incidemment encouragé à tenter l'expérience de l'édition "traditionnelle". Après avoir été contacté par plusieurs maisons d'édition, j'ai franchi le pas avec Bragelonne, notamment pour de simples questions de feeling. C'est un éditeur qui s'est toujours investi dans le livre numérique et avec qui je partage globalement la vision du livre. Bref, on s'est trouvés.
Ce n'est pas pour autant que j'abandonne l'autoédition, car selon moi, les deux univers sont faits pour cohabiter.
Quel regard portes-tu sur l'auto-publication? Est-ce un seul moyen de démarrer avant d'aller vers l'édition traditionnelle? Peut-elle s'ancrer dans la durée?
On parle beaucoup de la poignée d'auteurs qui se distinguent, peu de ceux beaucoup plus nombreux, qui se perdent. L'arbre qui cache la forêt, ce n'est pas nouveau... Les médias en sont en partie responsables, tout comme les plateformes d'autoédition, qui l'ont présentée un peu facilement comme un Eldorado.
Il y a donc des désillusions. L'autoédition offre à chacun une chance, certes minuscule, mais réelle, de trouver un lectorat. Mais comme tout, cela demande du travail et de l'investissement... pour souvent, pas grand-chose. Il ne faut pas oublier que l'offre est tellement plus vaste qu'en librairie qu'il est logiquement encore plus difficile de se faire remarquer par les lecteurs potentiels. Ceux qui répondent aux sirènes des petites combines et arnaques qu'on voir fleurir un peu trop à mon goût pour essayer de sortir du lot font le pire des choix: celui de ne pas respecter le lecteur. C'est dommage, car les victimes sont les auteurs qui s'échinent à bien faire les choses et surtout les lecteurs qui risquent une indigestion bien compréhensible et vont rejeter à raison le modèle de l'autoédition.
Même si ça peut paraître paradoxal, j'ai toujours été très critique envers l'autoédition. Beaucoup d'auteurs se lancent un peu vite, un peu n'importe comment. On ne publie pas un livre à la va-vite, dès qu'on a mis le point final à son premier jet. Pour faire les choses au mieux de A à Z, il faut de nombreuses compétences, qu'une seule personne peut difficilement avoir. Je viens de la presse écrite, donc je connais assez bien ce système: des regards extérieurs critiques, objectifs (ce que ne sont pas les proches) et constructifs sont essentiels avant publication, tout comme un travail d'édition, de réécriture, de mise en forme du texte, d'élaboration de la couverture...
Encore une fois, c'est une question de respect du lecteur. Et par extension, par respect pour soi-même en tant qu'auteur.
Que penses-tu des plateformes d'auto-publication qui fleurissent actuellement et qui interviennent en tant qu'intermédiaires avec les librairies numériques? Un réel intérêt selon toi avec le recul?
Ces intermédiaires sont en effet arrivés en masse sur la toile ces derniers mois. Je me doute qu'il y a des services sérieux, mais aussi beaucoup qui profitent de la vague de l'autoédition... Certains diraient que ce sont les nouveaux "éditeurs à compte d'auteur".Je ne juge pas, mais je pense simplement qu'il faut faire attention. Je peux comprendre que certains auteurs voulant se lancer sur le web mais n'ayant ni l'envie, ni le temps de se pencher eux-mêmes sur la question peuvent y trouver leur compte.Encore une fois, si vous voulez vous autoéditer, impliquez-vous. Créer un epub, se débrouiller tout seul sur KDP, KWL, Smashwords et consorts, ce n'est pas très compliqué. Je conseille régulièrement aux auteurs de commencer tous seuls, sur une des deux grandes plateformes d'autoédition liées à des librairies numériques, appareils et applications de lecture: Kindle Direct Publishing ou Kobo Writing Life. Qu'ils prennent le temps de les découvrir et de s'y essayer: ils verront qu'ils peuvent souvent très bien s'en sortir par eux-mêmes. Et si ce n'est pas le cas, alors en effet pourront-ils envisager de s'adresser à ces intermédiaires -en faisant bien sûr attention aux conditions contractuelles. Il faut bien peser le pour et le contre. La rémunération de ces plateformes se justifie-elle? Que font-elle de plus que ce que vous pouvez faire vous-même? J'ai vu chez certains des conditions totalement aberrantes, pour des services qui ne sont qu'un vernis.D'autres m'ont eu l'air plus sérieux, même si là encore, il faut savoir faire la part des choses: ce ne sont pas des éditeurs, juste des prestataires de service, même si certains essayent de brouiller les pistes. J'imagine que le temps permettra de faire le tri.Tu commences maintenant avec Bragelonne, comment vois-tu les choses s'organiser avec l'auto-publication?Nous verrons bien. Je n'ai aucun a priori, aucune consigne. L'important, quand on écrit, c'est l'histoire, pas de se demander comment on va la publier. Ensuite, c'est une question de goût et de sensibilité, si le roman ou la nouvelle mérite d'arriver au lecteur. On pourra en reparler d'ici quelque temps, avec le recul! Pour le moment, c'est une nouvelle aventure qui commence!
Plusieurs auteurs voient le web comme une alternative à l'édition traditionnelle. Pas simplement mode de communication et de publicité, mais comme véritable diffusion de leur travail d'écriture. Qu'en penses-tu?
C'est une vision un peu naïve, je crois. Au final, quand on y pense... Un autoédité, ce n'est pas juste un auteur, car il doit gérer tout ce qu'il y a autour de l'écriture proprement dite: édition, correction, technique, marketing. Ce n'est pas seulement quelqu'un qui écrit dans son coin, mais une vraie petite entreprise. En fait, un auteur indépendant n'est rien d'autre qu'une maison d'édition à échelle personnelle. Il faut savoir sortir de l'image manichéenne dont trop de monde se délecte. Soyons honnêtes un instant en arrêtant de diaboliser l'édition traditionnelle en portant aux nues l'autoédition. Et inversement.
Peux-tu nous parler de ton activité autour des couvertures?
Cela m'est venu en lisant de très bons titres autoédités (je suis curieux, je télécharge beaucoup d'extraits gratuits, qui permettent de juger sur pièces avant d'acheter -j'encourage tout le monde à faire de même systématiquement, d'ailleurs). Leurs couvertures étaient hélas si mal faites qu'elles ne donnaient pas du tout envie de voir plus loin. J'ai constaté que beaucoup d'auteurs autoédités avaient la volonté de soigner ce qui est après tout le premier contact avec le lecteur (quoi qu'on en dise, de prime abord, on juge un livre à sa couverture), mais n'en avaient pas la possibilité. Alors j'ai mis en place Kouvertures.com pour proposer mes humbles talents de graphiste et mes connaissances en communication visuelle à ceux que ça pourrait intéresser, à des tarifs très modestes. Apparemment, les auteurs qui ont fait appel à mes services en sont satisfaits, je n'en suis pas peu fier!
Un mot encore. A signaler que mes nouvelles sont également depuis quelques mois disponibles sur Youboox, dont j'apprécie particulièrement le principe. Parmi ces nouvelles, Lucie a d'ailleurs été sélectionnée dans la catégorie "Formats courts" du Prix du Livre Numérique 2014, voir ici. Donc si vous l'avez lue et appréciée, n'hésitez pas à voter pour elle!
Merci à David, succès à ses livres imprimés et numériques chez Bragelonne! A lire également l'entretien que lui consacre le blog Bragelonne. Le blog de David Forrest est ici pour le suivre dans sa nouvelle aventure.