L'Odyssée d'Homère avec une intelligence artificielle
31 mai 2024
Pour accompagner la compilation des différentes traductions du chant IX de L'Odyssée d'Homère (revoir mon billet ici), j'ai pensé intéressant de réaliser une traduction avec une intelligence artificielle. En juin 2018, j'écrivais en plein chantier de numérisation et de relecture : "En attendant peut-être, qui sait, des traductions réalisées grâce à l'intelligence artificielle vers 2050?" Accélération de l'histoire, je n'aurais jamais pensé en 2024 pouvoir tester un modèle crédible de traduction, qui plus est ouvert au grand public.
Quelques remarques méthodologiques d'abord sur ma démarche:
- Je suis parti du texte en grec ancien récupéré sur le web sur le site Remacle.
- Pour le choix de l'intelligence artificielle, j'ai évidemment d'abord essayé Chat-Gpt et DeepL sans être trop convaincu. Pour une traduction d'un texte classique, il m'a semblé qu'une intelligence conversationnelle classique ou qu'un modèle de traduction qui travaille sur des textes contemporains ne convenait pas forcément. Plus intéressant de s'appuyer sur la plus vaste compilation de textes possible? La récente mise en ligne par Google de son modèle Gemini mis à jour, m'a conforté dans l'idée de l'utiliser.
- Pour les 565 et quelques vers du chant IX, j'ai procédé par paquets de 30 vers. J'ai utilisé le modèle gratuit et non pas le modèle Gemini Advanced. C'est Gemini qui m'a proposé d'emblée une version en vers libre, plutôt qu'en prose, j'ai décidé de continuer sur cette voie.
- J'ai procédé tous les jours à quelques essais. J'ai vite compris que plutôt de le faire en plusieurs fois avec des résultats très éparpillés, il était plus intéressant de le guider au départ et de faire l'ensemble du chant. C'est la méthode que j'ai suivi avec les éléments de conversations suivants : - "Bonjour. Merci de me traduire en français le texte suivant. Attention de bien respecter la composition en vers libre". - "Je pense que tu peux mieux faire", etc. - "C'est parfait. Continue de la même façon sur le texte suivant."
- Je suis arrivé à un texte complet que j'ai relu et très légèrement corrigé.
J'avoue que je suis absolument bluffé du résultat, je ne m'y attendais pas. Je ne suis pas un spécialiste du grec ancien et je ne peux pas juger de la précision de la traduction par rapport au texte original. En revanche, après m'être penché sur 24 traductions au fil des années, je peux juger sur la qualité d'ensemble de celle-ci. Il y a quelques approximations mais elles sont vraiment à la marge. S'il s'agit d'une traduction "moyenne" sans parti-pris, sans éclat littéraire particulier pourrait-on dire, elle est tout de même réussie. J'ai été notamment surpris par sa fluidité, à aucun moment on a la sensation de blocs collés. C'est très déstabilisant de se retrouver face à un tel texte, je dois dire, surtout de savoir que c'est un premier jet qui demanderait sans doute une méthodologie plus précise.
Plutôt que de traduire mécaniquement en partant de rien, Gemini s'appuie sur un corpus immense de mots, d'expressions qu'il a repéré, qu'il a réagencé de manière propre. Il a bien entendu repéré l'origine du texte. Il propose d'ailleurs constamment en fin de sa propre traduction des remarques, à la fois sur la progression de l'intrigue mais aussi sur ses propres choix. Une sorte de jeu s'instaure. Tout à fait comme un animal que l'on doit flatter pour l'aider à progresser.
On retrouve dans le texte des expressions classiques que l'on connaît bien "Aurore aux doigts de rose" bien sûr, mais aussi bien d'autres qu'un lecteur familier d'Homère retrouvera. J'avoue que j'aimerais avoir l'avis de spécialistes du texte sur le résultat.
Voici le début du Chant IX de L'Odyssée d'Homère par Gemini.Google. Le texte complet est joint à ma compilation complète (Quelle traduction choisir?) des 24 traductions "humaines" réalisées entre 1619 et 2022. Vous jugerez, ravi d'avoir vos retours.
Ulysse s'adresse à Alcinoos et aux Phéaciens :
"Alcinoos, noble chef d'un peuple illustre,
Il est certes agréable d'entendre un aède chanter ainsi,
Tel qu'il est là, à la voix semblable aux dieux.
Pour moi, je ne crois pas qu'il y ait rien de plus charmant
Que lorsque la joie règne dans tout le peuple,
Et que les convives, assis dans la salle du banquet,
Écoutent l'aède, rangés par files, tandis que les tables
Sont pleines de pain et de viande, et que l'échanson,
Puisant le vin dans le cratère, le porte et le verse dans les coupes.
Voilà ce qui me paraît être la plus belle chose dans mon cœur.
Mais toi, mon esprit s'est tourné vers mes peines amères
Pour que je les raconte et que je gémisse et pleure encore plus.
Que te dire d'abord, que te dire en dernier ?
Les dieux de l'Olympe m'ont donné tant de souffrances !
Mais maintenant, je vais d'abord te dire mon nom,
Afin que tu me connaisses et que tu saches,
Après avoir échappé à la mort cruelle,
Que je suis ton hôte, bien que j'habite loin d'ici.
Je suis Ulysse, fils de Laërte, celui dont les ruses
Sont connues de tous les hommes,
Et dont la gloire a atteint le ciel.
J'habite l'île d'Ithaque, belle et fertile,
Et sur elle se trouve la montagne
Nérite aux feuilles de chêne, haute et belle.
Autour d'elle, de nombreuses îles sont habitées,
Toutes très proches les unes des autres :
Doulichion, Samé et Zacynthe boisée.
Elle-même, basse et allongée, gît dans la mer vers le couchant,
Tandis que les autres sont vers l'aurore et le soleil,
Rugueuses, mais bonnes pour nourrir les hommes.
Je ne peux pas voir de terre plus douce que celle-là.
La divine Calypso m'a retenu, dans ses grottes
Aux parois lisses, désirant faire de moi son époux.
De même, Circé, la magicienne d'Aiaié,
M'a retenu dans son palais, désirant faire de moi son époux.
Mais jamais mon cœur dans ma poitrine n'a consenti à cela.
Ainsi, rien n'est plus doux que sa patrie et ses parents,
Même si quelqu'un, loin de chez lui, habite une riche demeure
Dans un pays étranger, loin de ses parents.
Mais viens, je vais te raconter mon retour si pénible,
Que Zeus m'a infligé en quittant Troie.