Un blog pour suivre l'actualité du livre et de la lecture au format numérique.
Avec un clin d'œil à Alde Manuce, éditeur-imprimeur à Venise pendant la Renaissance.
Grâce à un ami ce week-end, j'ai eu la chance de découvrir quelques livres imprimés par le français Nicolas Jenson, le père du caractère romain. Comme l’écrit Martin Lowry: «Si Gutenberg a inventé la typographie, Jenson et Jean de Cologne ont tout fait pour passer d’un secret commercial jalousement gardé à un outil de communication de masse». Et cela à partir de 1470, une vingtaine d'années avant Aldo Manuzio...
Heureuse initiative que celle des Editions Manucius (et oui! qui reprennent le flambeau de l'éditeur Alde Manuce) en rééditant, ce mois-ci, un savoureux petit texte de Octave Uzanne, bibliophile, éditeur et journaliste, paru en 1894.
"«Si par livres vous entendez parler de nos innombrables cahiers de papier imprimé, ployé, cousu, broché sous une couverture annonçant le titre de l’ouvrage, je vous avouerai franchement que je ne crois point, que l’invention de Gutenberg puisse ne pas tomber plus ou moins prochainement en désuétude. Je crois que si les livres ont leur destinée, cette destinée, plus que jamais, est à la veille de s’accomplir, le livre imprimé va disparaître. Ne sentez-vous pas que déjà ses excès le condamnent? Je crois donc au succès de tout ce qui flattera et entretiendra la paresse et l’égoïsme de l’homme; l’ascenseur a tué les ascensions dans les maisons; le phonographe détruira probablement l’imprimerie. Il y aura des cylindres inscripteurs légers comme des porte-plumes en celluloïd, qui contiendront cinq et six cents mots et qui fonctionneront qui tiendront dans la poche; toutes les vibrations de la voix y seront reproduites. Soit à la maison, soit à la promenade, en parcourant pédestrement les sites les plus remarquables et pittoresques, les heureux auditeurs éprouveront le plaisir ineffable de concilier l’hygiène et l’instruction, d’exercer en même temps leurs muscles et de nourrir leur intelligence, car il se fabriquera des phono-opéragraphes de poche, utiles pendant l’excursion dans les montagnes des Alpes ou à travers les Cañons du Colorado. Après nous la fin des livres!»
Longue vie aux livres et aux délicieux petits ouvrages des Editions Manucius...
Je viens de terminer le livre "Aldo Manuzio, Passions et secrets d'un Vénitien de génie" que Bruno Rives vient de publier aux Editions Librii. Pour la petite histoire, j'étais loin d'imaginer en créant mon propre blog la passion secrète de Bruno pour l'éditeur vénitien et le nom de Tebaldo en écho à son prénom. Depuis, au hasard de nos rencontres avec Bruno, nous évoquons la figure du grand homme au regard des développements du papier électronique et des évolutions en cours dans le milieu du livre. J'avoue que je suis un peu déçu par la lecture de l'ouvrage qui ne choisit pas son parti. Bruno affirme ne pas avoir voulu faire un essai ou une biographie mais pourquoi alors avoir donné ce titre à son livre (sans parler de la couverture qui se rapproche d'un Découvertes Gallimard). Choix d'un "docu-fiction" donc, avec une intrigue, une sorte d'enquête à travers les âges et l'Internet, sous fond de Vatican, d'écrits remettants en cause le Christ, de la recherche de l'auteur du "Songe de Polyphile" édité par Aldo Manuzio... Ce n'est pas la première fois que ce livre énigmatique sert de cadre à un roman policier. En 2004, Ian Caldwell et Dustin Thomason, deux auteurs américains, avaient publié un thriller intitulé "La Règle des Quatre" (Livre de poche). Ce livre s'inscrivait dans la lignée du DaVinciCode en embarquant le lecteur dans une chasse au trésor au coeur du livre du Quatrrocento. Avec sa suite logique, bien sûr, "La Règle des Quatre décryptée" par Joscelyn Godwin (Michel Laffon)... On a échappé au film fort heureusement. On était loin du Nom de la Rose d'Umberto Eco. Bruno Rives a choisit de naviguer dans la forme entre deux intrigues, l'une se passant à la Renaissance, l'autre de nos jours, les deux à la recherche de manuscrits précieux. Internet, biographie d'Alde, souvenirs et travaux personnels de l'auteur, livre électronique, j'avoue que tout se mélange un peu en refermant ce livre. Le suspense de l'intrigue tourne court, la révélation de l'auteur véritable du Songe de Polyphile comme étant Bessarion ne convaint pas vraiment. Il faut reconnaître à Bruno Rives de mettre en valeur l'influence d'Aldo Manuzio sur l'édition et la typographie moderne. Même si je ne suis pas trop d'accord avec lui quand il évacue en deux lignes l'influence de Gutenberg et celle de cinq cent ans d'histoire du livre après lui (Estienne, Plantin, Elzevier, pour ne citer que les premiers). Même si l'oeuvre d'Aldo Manuzio est immense, elle est à replacer dans une histoire du livre collective, il n'y a pas qu'Aldo Manuzio dans l'histoire de l'imprimerie, loin de là... Je n'irais pas non plus jusqu'à dire qu'il est au-dessus de Léonard de Vinci ou Michel-Ange... Regret aussi de ne trouver dans ce livre aucune bibliographie qui puisse renvoyer le lecteur autre part qu'à internet ! De rappeler les immenses contributions à la découverte d'Aldo Manuzio que sont l'ouvrage, bien connu de tous les amateurs,de Antoine-Augustin Renouard "Annales de l'Imprimerie des Alde, Histoire des Trois Manuce et de leurs éditions, 1834" que l'on trouvera sur Google ou plus heureusement dans des éditions reprint ou anciennes. Rappeler aussi le formidable ouvrage de Martin Lowry, The world od Aldus Manutius, paru en 1979 et traduit en français en 1989 aux Editions du Cercle de la Librairie, toujours disponible chez l'éditeur. Livre qui retrace complètement la genèse et l'oeuvre d'Aldo Manuzio, au mileu des intellectuels et artistes de son temps (avec une bibliographie d'une vingtaine de pages). La dimension d'entrepreneur, d'homme d'affaire aussi (qui n'est pas mise en valeur dans le livre de Bruno Rives), en cela il est le premier éditeur moderne. Je ne reviendrais pas sur les débats récurrents quand on évoque la paternité du livre de poche, transportable à Aldo Manuzio. Même s'il a été à l'initiative de la diffusion et du succès de ce format au point d'être honteusement copié au cours du XVIème siècle, les collections portatives aldines étaient à des prix très élevés qui étaient bien loin de concerner le commun des mortels. Bien loin du petit livre pas cher que nous connaissons tous et qui risque bien d'être sérieusement ébranlé dans les années à venir par son petit frère électronique. Quelques pistes supplémentaires si vous voulez découvrir Aldo Manuzio et l'histoire de l'imprimerie : - Le catalogue magnifique de la vente du 19 novembre 2004 à Genève, ici. - "L'Apparition du livre" de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, Albin Michel, (édition électronique disponible) - "L'Effet Gutenberg" de Fernand Baudin, 1994, Cercle de la Librairie, livre merveilleux, malheureusement épuisé mais que je ne désespère pas de voir réédité un jour. - "Histoire de l'Edition, Tome 1, le livre conquérant", Promodis, 1982, également épuisé mais présent dans toute bonne bibliothèque... - devenir collectionneur des éditions aldines (en ne vous effrayant pas sur les prix du libraire hollandais, financier serait-il plus juste de dire, il est de notorité sur la place qu'ils sont complètement déconnectés de la réalité du marché ; hormis pour des éditions et des reliures d'exception, collectionner des livres d'Aldo Manuzio ne relève pas de plaisirs inaccessibles, certaines pour le même prix...)
A noter que Bruno Rives propose une version électronique de son livre, avec des gravures et une lecture audio intégrée, une démonstration à suivre.
PS : L'auteur, Bruno Rives, a souhaité apporter un droit de réponse que vous trouverez sur son blog et que je vous invite à lire.