C'est la rentrée pour notre ami Thierry, toujours fidèle au poste pour ses chroniques. Je l'en remercie. Aujourd'hui "La Nuit tombée" d'Antoine Choplin, paru à La Fosse aux Ours. 9,99€ en epub sans DRM sur ePagine par exemple.
Il y a eu la vie à Tchernobyl.
«Après les derniers faubourgs de Kiev, Gouri s’est arrêté sur le bas-côté de la route pour vérifier l’attache de la remorque.»
Gouri part en moto vers la zone. La zone interdite de Tchernobyl. Gouri est un ancien «volontaire» pour nettoyer le réacteur N°4 de la centrale.
«C’était
tôt le matin, deux camions militaires sont arrivés ici au village. Une
huitaine de gars sont descendus et le chef a pris la parole pour dire
qu’ils recrutaient des hommes pour nettoyer la zone. Que s’engager pour
ce travail, c’était ni plus ni moins faire son devoir de citoyen.» Ce
seront les liquidateurs.
Ecrivain public à Kiev, il revient sur les lieux deux ans plus tard. Il veut récupérer la porte de la chambre de sa fille.
«Il
y a pas mal d’inscriptions dessus. Des choses que nous avions écrites
ou dessinées, Ksenia et moi. Un peu de poésie, des mots comme ça.». Et
les marques de la taille de Ksenia, à douze ans, à treize et demi,
quatorze.
Gouri, sa femme et sa fille habitaient à Priapiat, près du square Pouchkine, pas loin de la centrale. Aujourd’hui
c’est une ville fantôme où dans les jardins brillent des taches
violacées de césium, une sorte de jus qui suinte de partout et sombrent
des oiseaux aveugles. Sur son chemin il va rencontrer des
survivants. Ils vont raconter, se raconter la catastrophe. Ils vont
chanter, au son de l’accordéon, ivres de vodka et de souvenirs le
temps... d’avant l’événement. Véra, Piotr, Pavel, Ivan, Leonti, Kousma, Vassili, Svetlana et les autres. Et Iakov qui se meurt.
«Le
visage est méconnaissable. Il a perdu ses cheveux et la peau du crâne
est diaphane. Laissant voir en plusieurs endroits l’épaisse saillie des
veines. L’un de ses yeux est presque fermé, comme celui d’un boxeur
après un combat. Les joues sont creuses, les lèvres curieusement
retroussées, les mâchoires crispées.»
Son précédent livre «Le Héron de Guernica» m’avait enchanté.
L’histoire
de Basilio, un jeune peintre autodidacte qui peint les hérons cendrés
des marais de Guernica. La guerre d’Espagne, Picasso...
Toujours tout en retenue, écrivain économe, pudique, presque magique mais tellement généreux avec le lecteur. Cette nuit tombée m'a séduit. L'écriture de Choplin, teintée d’atticisme, jette comme un sort sur le lecteur. Il nous charme avec ses mots légers, ses courtes phrases lestées d'adjectifs trop qualificatifs. L'ombre
des mots, discrète, à peine visible, invisible presque, déborde
d'émotions, nous arrache des larmes, nous prend aux tripes. L'ombre du drame nous tient le fil à la page. Merci Monsieur Choplin.
«Sans bon sentiment, l’on ne fait que mauvaise littérature.» écrivait Gide.
«Je
suis allé plusieurs fois sur le toit avec lui. Il voulait toujours
mettre un ou deux coups de pelle de plus que les autres. Il dépassait
les quarante secondes à chaque coup.»
Tchernobyl, 25 ans après:
de 25 000 à 125 000 morts et plus de 200 000 invalides, et pour les
populations exposées à la contamination un bilan qui sera selon les
estimations de 14 000 à plus de 985 000 morts à travers le monde.
Mais ce livre vous en dira beaucoup plus que ces chiffres... C’est le pouvoir de la littérature.
Lu dans le cadre du Club des Lecteurs Numériques.