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4 notes en février 2023

Roger Vinciguerra : un grand professionnel nous a quitté

VinciguerraHommage à Roger Vinciguerra décédé quelques jours avant Noël dernier. Un grand professionnel de l'édition nous a quitté. Nous nous étions parlé au téléphone début décembre, il était rentré chez lui après de nombreux séjours hospitalisés. Sa voix était claire, il semblait aller mieux. Nous avions évoqué de nous voir en fin ou en début d'année, partager un repas dans le petit vietnamien à deux pas de chez lui, puis j'ai été souffrant à répétitions, reportant à plusieurs reprises ce déplacement sur Paris.

Nous nous étions rencontré avec Roger chez Bordas à l'époque de la rue Rémy-Dumoncel, notre chef de fabrication, apportant tous les soins que nous pouvions sur les livres illustrés de la maison. Durant près de trois années, il nous a fait partager au sein de notre petite équipe resserrée tout son savoir-faire professionnel. Roger avait connu l'époque du plomb dans les ateliers de Deberny-Peignot, dans laquelle il avait fait ses premiers pas après l'Ecole Estienne. C'est dire le soin qu'il consacrait à la typographie, le plomb puis le passage à la photo-composition qu'il avait suivi de très près dans les maisons d'édition de littérature. Mais c'était aussi un homme de couleurs, tant sa passion le tournait naturellement vers les beaux-livres. Son passage dans beaucoup d'entreprises, du groupe Hachette notamment, a laissé une marque durable pour tout ceux avec qui il a travaillé, collaborateurs comme professionnels en France comme en Europe, compositeurs, photograveurs, imprimeurs, façonniers. Un grand grand professionnel mais aussi un homme de partages, de convictions, d'amour de son métier qu'il partageait sans modération autour de lui. La droiture aussi, qu'il chérissait par-dessus tout.

Combien d'entreprises j'ai pu découvrir, de bons à tirer j'ai pu faire avec les précieux conseils de Roger. Les photo-compositeurs dans le Nord comme du côté d'Angoulème (ils se reconnaîtront), les imprimeries Jean Mussot, Mame, Aubin, Hérissey, les photograveurs André Fossard, Bussière, les relieurs Brun, SIRC, d'autres encore. Et puis les imprimeurs italiens vers lesquels son origine et son amour de l'art le tournait naturellement bien sûr, Pizzi, Milano Stampa, Canale... Avoir la confiance de Roger valait tous les sésames...

Les heures que nous passions à parler typographie, à corriger la photogravure, à rechercher des solutions techniques pour optimiser des collections de livres à venir et les maintenir en France, restent gravés dans ma mémoire. C'étaient aussi les innovations technologiques qui arrivaient, l'avancée de la PAO, la fin des bromures à coller sur les maquettes, les paquets de films à envoyer remplacés par disquettes et autres syquests, les montages chez les imprimeurs, les ozalids qui sentaient l'ammoniaque pour les bons à tirer. Je me rappelle précisément du premier livre que nous avons entièrement réalisé sans morceaux de films, de l'écran aux grands films imposés chez l'imprimeur, un modeste Modelages en pâte durcissante chez Dessain et Tolra. Le CTF comme nous l'appelions à l'époque, avant les CTP et DI. Nous tremblions un peu au moment de recevoir les bonnes feuilles. Roger n'était jamais passéiste, allait toujours de l'avant, avec son œil pétillant, c'est la qualité et l'exigence qui primaient.

Je pense que beaucoup d'entre nous dans l'édition sommes tristes aujourd'hui à l'annonce de sa disparition. Toutes mes pensées vont à sa famille. Nous gardons les traces durables de son amitié et des livres que nous avons partagés, façonnés ensemble avec passion. Elles et ils restent gravées à jamais...


Une plate-forme gratuite avec les "incontournables" de la culture ?

Bibnumtv5Réaction après les propos de Brigitte Macron sur RTL qui aimerait lancer une plate-forme numérique gratuite donnant accès aux classiques de la littérature et du cinéma français. Pour le cinéma c'est plié et ce n'est pas faute d'avoir essayé, avec le désastre financier de la plate-forme Salto dont la fermeture a été acté en ce début d'année (lire cet article intéressant).

En ce qui concerne les classiques de la littérature française il s'agirait d'une plate-forme gratuite sur laquelle toute la population, et notamment les adolescents, pourrait avoir accès à ce que Brigitte Macron appelle les "incontournables" de la culture française. Parmi eux, elle cite pêle-mêle des écrivains comme Racine, Montesquieu ou Baudelaire. Beaucoup sur Twitter ont réagi avec l'offre Gallica qui existe depuis longtemps. Plus encore c'est la Bibliothèque Numérique de TV5 Monde qui m'a tout de suite frappé puisqu'il s'agit d'un site francophone à vocation pédagogique. Cette bibliothèque numérique regroupe aujourd'hui 642 titres, tous les fameux auteurs "incontournables".

Contrairement à Gallica, TV5Monde a fait un réel effort à la fois sur le catalogue des ePubs comme PDF, mais aussi sur l'ergonomie, les aspects graphiques avec les couvertures et des illustrations inédites d'auteurs. C'est quand même assez incroyable que Brigitte Macron puisse ignorer une telle offre, TV5 Monde détenue conjointement par des sociétés audiovisuelles publiques. Booster cette bibliothèque numérique avec des classiques sous droits chez les éditeurs serait une très bonne chose dans l'espace francophone. Alors, chiche Mme Macron?


Jean-Pierre Martinet : petit retour et puis repartira...

MartinetEt l'on reparle de Jean-Pierre Martinet. Au fil des années, Le Dilettante, Finitude, L'Arbre vengeur, c'est aujourd'hui un autre éditeur L'Atteinte qui remet en lumière le dernier livre de cet auteur, L'Ombre des forêts paru à la Table Ronde en 1987. Autant de "petits" éditeurs qui ont essayé d'extirper des limbes Jean-Pierre Martinet, disparu en 1993, aujourd'hui bien confidentiel. Son dernier livre était indisponible dans sa version de poche à La Petite Vermillon parue en 2008. C'était d'ailleurs la seule version poche qui existait de ses livres. Martinet exclu des catalogues, du numérique aussi d'ailleurs, hormis quelques titres secondaires. Ses principaux livres comme Jérôme ou La Somnolence, découverts en leurs temps par Jean-Jacques Pauvert ou Le Sagittaire de Gérard Guégan, des crémeries passées dans les laiteries industrielles des groupes. Que peut bien peser Jean-Pierre Martinet dans leurs lignes de comptes, par compte même interdits de poche, pas question de libérer les formats numériques.

Martinet, un auteur qui compte pour tout ceux qui se sont plongés dans ses livres, un univers qui n'appartient qu'à lui. J'en fait même un signe de la qualité d'une librairie quand j'en découvre une nouvelle. Martinet est-il sur une étagère perdu autour de Martin du Gard, Maupassant, Mauriac, avant celle bien pleine de Musso?  Pendant quelques semaines en ce début d'année il aura la primeur de quelques tables, se frottant aux piles de la rentrée littéraire et puis s'en ira, les purgatoires sont décidément bien verrouillés pour les auteurs qui ne rentrent pas dans les moules. Combien de lecteurs pour lui? Comment Martinet pourrait-il bénéficier enfin du statut qu'il mérite sans voir ses trois principaux livres passer dans des versions de poche et le numérique associé? On n'ose bien sûr pas évoquer une pléiade, vous imaginez bien, plus modestement une édition complète en Bouquins (comme récemment Jean-René Huguenin) ou autre qu'il mériterait amplement.

Les passages météores chez des petits éditeurs depuis une quinzaine d'années, dans des versions en grand format aux prix élevés le maintiennent soigneusement dans l'ornière qu'il ne devrait jamais quitter. Une stratégie de l'échec de l'auteur soulevé il y a bientôt dix ans dans cet article de Causeur, une même stratégie de l'échec éditoriale aujourd'hui. Le temps hélas n'y change rien...


Tout Eugène Dabit en numérique

Eugene-dabit-portrait-dyvonne-chevalier-au-fauteuilAprès "La Zone Verte" en janvier, je viens de terminer de numériser "Yvonne" d'Eugène Dabit, en collaboration avec la BNR. Un livre inédit paru chez l'éditeur Bernard Pascuito fin 2008. L'éditeur a malheureusement disparu quelques années plus tard, le livre indisponible depuis.

Si nous connaissons Eugène Dabit (1898-1936) par son livre "L'Hôtel du Nord" qui a connu une destinée cinématographique providentielle avec son histoire d'atmosphère, nous connaissons moins ses autres livres, c'est une véritable injustice pour un écrivain parti bien trop tôt. Beaucoup de plaisir et de fierté à sortir ce livre des limbes dans lequel il se trouve comme tant d'ouvrages indisponibles. On se demande bien pourquoi Gallimard n'a pas trouvé l'intérêt de le reprendre dans sa collection L'Imaginaire parmi les autres, d'autant plus qu'il n'est plus question de droits, l'écrivain dans le domaine public depuis bien longtemps.

"Yvonne" est un magnifique portrait de femme en recherche d'émancipation, un beau témoignage posthume envers le talent d'écrivain d'Eugène Dabit, dont l'action se situe dans le milieu des peintres et des modèles parisiens. Un milieu que l'auteur connaissait bien puisqu'il a longtemps hésité entre l'écriture et la peinture, sa compagne Béatrice Appia elle-même peintre, leur atelier installé rue Paul de Kock dans le XXème arrondissement de Paris (voir la page d'Eugène Dabit sur ArtNet).

L'équipe de la Bibliothèque Numérique Romande a décidé la publication de l'ensemble de l'œuvre d'Eugène Dabit. Les parutions vont se poursuivre durant toute cette année. Restez vigilent...

[llustration : Portrait d'Yvonne Chevalier au fauteuil d'Eugène Dabit.]