C'est le livre de cette rentrée littéraire de janvier et j'espère bien qu'il ne passera pas inaperçu. Les Editions du Seuil, Noir sur Blanc, Furioso et Allia lui avaient déjà ouverts leurs portes depuis une douzaine d'années. C'est désormais Rivages la bien-nommée qui a publié en ce début d'année "Face au Styx" de Dimitri Bortnikov. "Le fabuleux parcours - riche, vivant, et passionné - d’un jeune Russe dans le Paris d’aujourd’hui. Au fil de ses rencontres et de la solitude de ses déambulations se dessine une fresque hallucinée projetée sur le mur de la condition humaine. Maquereaux, marquises, écrivains, chats et chiens, tsars, grand-père combattant de trois guerres, femmes et hommes, enfants, bêtes venus de l’autre côté du Styx, tous entrent dans cette danse, farandole moderne des âmes tragiques et drôlatiques qui tourbillonne de Paris jusqu’au pôle Nord, de Saint-Peterbourg jusqu’à la grande steppe tel un ouragan qui déracinerait les dents du dragon du passé et sèmerait ceux à venir… Un grand roman russe à la Dostoïevski écrit directement en français." Eh bien, la 4ème n'est pas de la réclame trompeuse comme il y en a tant. C'est pas pour nous bourrer le mou. J'ai terminé la lecture de ce roman torrentiel, un ours, l'ours d'un ruskov des bords de la Volga exilé chez nous parce qu'il ne pouvait pas aller plus loin à l'Ouest. Longtemps que je suis ce bougre d'écrivain qui se coltine avec la langue. La russe d'abord avec ses premiers livres, puis la nôtre, c'est son deuxième écrit en français. Quel livre, mon année est faite. Pas moins de 749 pages. Une incroyable galerie de personnages, entre humour et tragédie, entre rigodon et trépas. En fait de Styx, Bortnikov nous plonge littéralement dans sa lessiveuse, ça cogne durement. Gare à la gaffe de Charon... Mais on ne lache rien du tout. La langue est riche, la syntaxe chahutée. Il y a du Céline de Guignol's Band dans l'aventure. Un seul passage en page 438 :
"Tout était compté. mon temps était compté, et mon âme était pesé. ha ! enfin l'ange a pesé mon âme ! oui, sur le pèse-lapin le plus juste. Dimitrius ! faut que tu manges, même une croquette, mais mange ! tu ne bouffes que des visions, toi ! bide aux visions, toi ! il fallait que je rentre, ça oui, mais je me suis aperçu que je ne reconnaissais plus rien autour ! ni à gauche, ni en bas ! et pourtant je connaissais bien ce quartier ! et je m'y suis perdu ! en gargouille en vadrouille j'errais, et voilà - perdu dans la doublure de ce manteau pourri ! Saint-Ouen... Mais je sais qui je suis, moi ! nom et prénom, et tout ! qu'il y a un cimetière, à trois pas de ma piaule ! cimetière parisien ! mais je tourne, tourne et enfin - pattes molles je tombe tête au mur ! ouf ! le cimetière ! j'ai jamais été aussi content de retrouver un cimetière, moi ! maintenant - c'est pas loin de chez moi, à une cigarette de ces murs calmes ! de ces gros arbres qui me regardent comme mes parents d'une photo... Dimitrius ! respire et rentre ! tout doux, en limace ! et mange."
Commencez à lire le début chez Feedbooks (download a preview) qui nous propose les trois premiers chapitres, les 83 premières pages -pas moins-, non vous ne rêvez pas, de quoi vous faire une sérieuse idée du bouquin. Sur vos liseuses, vos smartphones, partout. Merci à l'éditeur. Allez, plonger dans le Styx de Bortnikov, vous n'en sortirez pas indemne, pour longtemps...