Petite contribution personnelle en cette journée de la lecture sous le signe du hashtag #RaysDay sur Twitter, organisée en la mémoire de Ray Bradbury. Pour mettre en valeur un autre Ray, français celui-ci.
En collaboration avec le site québécois EbooksGratuits, nous vous proposions il y a plus d'un an L'Apprenti de Raymond Guérin. Paru aux Editions Gallimard en 1946, c'est le premier titre de la trilogie "Ebauche d'une mythologie de la réalité", l'oeuvre majeure de l'écrivain, multiforme à bien des égards où l'on retrouve l'influence entre autres de Proust, de Céline. Les deux premiers volumes ont été écrits en captivité en Allemagne entre 1940 et 1944 (les éditions Finitude avaient publié Retour de barbarie en 2005, aujourd'hui malheureusement épuisé). La version numérique de L'Apprenti est disponible uniquement au Québéc conformément au copyright. Je vous propose aujourd'hui ce premier livre et, un peu en avance par rapport à EbooksGratuits, en exclusivité le deuxième Parmi tant d'autres feux....
A signaler que Les Poulpes (publié en 1953), troisième livre et fin de la trilogie est déjà avancé, nous devrions le proposer avec EbooksGratuits en fin d'année. Un chantier total de près de 2000 pages, soigneusement numérisé, préparé, lu, relu et formaté à plusieurs mains. Raymond Guérin est mort en 1955 à l'âge de 50 ans. Son oeuvre n'est pas disponible au format numérique chez l'éditeur, le dernier volume d'ailleurs jamais réédité à ce jour par celui-ci.
Ces versions seront envoyées dans un cadre et pour un usage strictement privé. Envoyez-moi votre adresse mail (vous trouverez la mienne sur la page "à propos" du blog); je vous enverrais par retour ces deux livres ainsi qu'une option sur le troisième quand il sera prêt.
Joint ce texte de Raymond Guérin figurant en introduction de son dernier livre Les Poulpes:
Je ne fais pas de littérature métier. Laudes, honneurs, profits, pain quotidien des professionnels, je vous ai toujours fuis. Une seule exigence: mon plaisir.
Je ne sais guère me faire valoir. Comment serais-je pris au sérieux par les autres quand, déjà, je souris de moi-même? Je pouffe dès que je sens monter en moi la velléité d’une profession de foi ou d’un oracle. Jouer au prophète, au directeur de conscience, au grand prêtre, au porteur de message me semble tout de suite du dernier ridicule.
Que dire de l’argument? Si je croyais pouvoir m’exprimer en dix lignes, pourquoi aurais-je écrit six cent pages? Ce livre ne se raconte pas; il a bien un sujet mais pas d’histoire. Au diable l’histoire!
Le cadre? La captivité. Les personnages? Moins que des ombres. L’atmosphère? Fantomale. L’expression? Transposée dans sa crudité même ou ses artifices, son tragique ou son burlesque, par des emprunts au précieux autant qu’à l’argot, aux chansons des rues autant qu’au bagage des poètes.
En fait, il faudrait quinze jours pour lire posément cet ouvrage et autant pour y repenser à loisir. Que ceux donc qui n’ont pas un mois à perdre passent leur chemin! Qu’y a-t-il à expliquer? Un livre se défend, se justifie ou se condamne lui-même. Ce qui compte, c’est la sincérité, c’est la probité de l’entreprise.
Et pourtant…
Je crois qu’on se méprendra sur Les Poulpes si on ne reconnaît pas qu’il s’agit là, avant tout, d’un livre de dérision. Dérision du sujet et dérision du style. Si on ne reconnaît pas, également, qu’il s’agit là d’un livre de parti pris. Parti pris du sujet et parti pris du style.
N’étant pas de ceux qui s’obligent, pour faire carrière, à fabriquer et à proposer indéfiniment la même mouture (pour peu que la première ait pu être appréciée), je me suis vu amené, par humeur autant que par tempérament, à rejeter chaque fois mes précédentes acquisitions, à foncer dans une direction opposée à celle où l’on m’attendait, à changer d’instrument, de registre, de matière, de procédé, de vocabulaire et de ton, à me placer enfin dans une situation d’où il me faille repartir à zéro pour explorer une terre inconnue.
Dans le mythe, Thésée sort miraculeusement du labyrinthe. Dans la réalité, la créature, vaincue d’avance, est jetée en pâture au Minotaure. Ce drame inscrit et impose une rhétorique de l’individu par la Société, en même temps qu’il inscrit et impose son inéluctable défaite. Il figure par l’absurde la machination du Minotaure acharné à dégrader tout idéal d’amour, de poésie et de liberté. Au héros légendaire se substitue l’Hermès à double face drapé dans la cape de l’Arlequin-Caméléon et hanté par la nostalgie de la beauté de la vie comme par le dégoût de ce qui l’enlaidit.
De là que langage et fiction soient violentés. De là que soient avivés, le rythme, la couleur et les subterfuges du récit, que soit libéré le sens satirique le plus grinçant de notre permanence humaniste.
Donc, un livre de dérision totale, dérisoire même dans sa plus abrupte inspiration.