J'avoue que la surprise a été totale. Le Sénat a créé hier jeudi 11 février, contre l'avis du gouvernement, une obligation de dépôt légal pour les livres numériques, en adoptant un amendement écologiste au projet de loi sur la création et le patrimoine, rapporte l'AFP. "Il paraît important d'instaurer à présent une véritable obligation de dépôt légal des livres numériques, afin de garantir une collecte exhaustive et une préservation à long terme de la production éditoriale sous forme numérique", a déclaré Marie-Christine Blandin (écologiste) en défendant son amendement. "Sans une telle évolution, le dépôt légal perdrait le caractère systématique qu'il présente depuis 1538, sous François Ier, qui lui a donné son intérêt", a-t-elle ajouté. Elle a aussi estimé que cette obligation "serait relativement légère pour les éditeurs, dans la mesure où contrairement aux exemplaires papier, la transmission des fichiers numériques n'implique aucun coût".
La sénatrice du Nord a aussi relevé qu'actuellement les livres numériques sont pris en compte "de manière incomplète par le dispositif de dépôt légal obligatoire". "Une partie des écrits diffusés par voie électronique est en effet captée par le biais du dépôt légal du web effectué par la BNF, mais ces collectes ne sont pas en mesure d'assurer un archivage complet de la production des livres numériques du fait des limites techniques", a-t-elle expliqué. En revanche, pour l'ancienne ministre de la Culture Fleur Pellerin, le système actuel, qui passe par Internet, "convient": "Des organismes collectent eux-mêmes tous les contenus numériques relevant du patrimoine national - et pas seulement les livres", précise-t-elle. Pour entrer en vigueur, la disposition votée au Sénat doit également être adoptée à l'Assemblée, où le gouvernement dispose de la majorité.
La loi sur la création est pour le moment assortie d'une procédure d'urgence, ce qui suppose une seule lecture par l'Assemblée nationale et le Sénat. Il est toutefois question que ce texte repasse en procédure normale, et fasse l'objet d'une seconde lecture de part et d'autre. Quel que soit le processus, les différences de rédaction seront réglées en commission mixte paritaire, composée de députés et sénateurs. En dernier ressort, l'Assemblée nationale tranchera. Le débat sur le projet de loi doit se poursuivre au Sénat jusqu'à vendredi. Le texte fera ensuite l'objet d'un vote solennel mardi.
J'ajouterais quelques remarques. Pour l'instant le dépôt légal numérique à la BNF est assujetti de manière obligatoire aux seuls titres qui font l'objet d'une numérisation subventionnée par le dispositif du CNL (Centre National du Livre). Si ce dépôt légal numérique ne représente à-priori en effet aucun coût pour les éditeurs, il suppose en revanche des garanties de sécurité à la hauteur de l'enjeu. Nous avons tous en tête le piratage de données chez des sociétés autrement préparées que la BNF. Pour l'instant les seuls grands acteurs anglo-saxons (Amazon, Apple, Kobo et Google) disposent des fichiers des éditeurs de manière exhaustive. La BNF pourra-t-elle assurer le même degré de sécurité avec un catalogue de titres qui va grandir de manière exponentielle? Autre question, les fichiers sont mis à jour régulièrement chez les distributeurs. Est-ce que ce fichier exhaustif sera lui-même l'objet des mises à jours constantes ou devra-t-il conserver les versions successives? Les logiques commerciales et patrimoniales ne sont pas forcément les mêmes. Va-t-on également aller vers un dépôt légal numérique exhaustif dans le domaine de la musique, cinéma, voire des jeux vidéos? Les débats ne vont pas manquer, une vraie boite de Pandore, à suivre...